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Dans le cénacle des grands collectionneurs

Anne Laure Bandle*

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Jadis, collectionner l’art était l’affaire d’une élite de connaisseurs. Aujourd’hui, il s’agit plutôt d’un sport de compétition dont il faut bien connaître les règles

La semaine dernière, lors de la journée d’ouverture de la foire Frieze – moment privilégié réservé aux VIP – les espaces des exposants regorgent de monde, les points rouges pullulent, l’ambiance est tendue. Les collectionneurs sont nombreux à venir convoiter les récentes acquisitions des galeristes mais il ne suffit plus d’avoir les moyens pour les acquérir. Jadis, collectionner l’art était l’affaire d’une élite de connaisseurs. Aujourd’hui, il s’agit plutôt d’un sport de compétition dont il faut bien connaître les règles. 

 

D’une part, le nombre de grands collectionneurs a sensiblement augmenté au fil de ces dernières années. De nouveaux amateurs qui souhaitent figurer parmi les détenteurs d’œuvres créées par des artistes de renom, ou des investisseurs à la recherche d’une classe d’actifs alternatifs à l’immobilier et à la bourse. D’autre part, les marchands exercent un contrôle sur la cote de leurs artistes en sélectionnant les collectionneurs, au détriment des investisseurs. Certains collectionneurs de la nouvelle génération se plaignent de ne pas pouvoir accéder aux œuvres qu’ils cherchent vainement à posséder.

 

Parmi les répercussions que soulève ce marché de l’art en pleine effervescence, on observe une valeur marchande des œuvres et des risques liés à leur acquisition en croissance. Ces risques peuvent notamment porter sur l’authenticité des œuvres, leur état physique, ou encore leur provenance. Ce dernier aspect est particulièrement important où la prudence est de mise pour détecter les œuvres volées ou spoliées. La loi impose d’ailleurs aux acquéreurs et aux vendeurs un devoir de diligence qui implique des vérifications entre autres sur la légitimité du propriétaire avant de conclure toute transaction. 

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Diligence accrue

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Le degré d’attention qui peut être exigé de l’acquéreur dépend des circonstances. Ainsi, un collectionneur d’art qui opère régulièrement sur ce marché devra se laisser opposer une connaissance de la branche et, par conséquent, un devoir d’investigation plus accru qu’un novice. Cette exigence de diligence n’est pas limitée aux marchands agissant dans leur activité commerciale, mais s’étend bel et bien aux collectionneurs. Un manquement à ce devoir de diligence peut entraîner la perte de l’œuvre d’art acquise, l’acheteur pouvant être qualifié de mauvaise foi pour ne pas avoir prêté l’attention requise au moment de l’achat. Une complexité additionnelle réside dans le fait que le Tribunal fédéral s’appuie sur « les usages reçus dans la branche en question, sans toutefois que les négligences usuelles puissent conduire à une diminution des exigences relatives à l’attention ».

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Il est fréquent que des œuvres d’art soient acquises sans grandes formalités, sur la base d’une simple facture et sur la réputation de la galerie venderesse. Cela peut paraitre surprenant surtout aux yeux d’un juge qui ne retiendra pas ces usages-là comme étant suffisants. Compte tenu des risques de ce marché, une diligence plus systématique devient inéluctable. 

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La professionnalisation des collectionneurs

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Les vendeurs doivent eux aussi se conformer à un devoir de diligence depuis l’introduction de la loi sur le transfert des biens culturels en 2005. Celle-ci prévoit que les propriétaires et intermédiaires intervenant pour le compte des propriétaires doivent s’assurer que l’œuvre en question n’a pas été volée ou importée illicitement. Cette exigence s’applique à tout professionnel du marché de l’art. Un collectionneur peut être qualifié de professionnel assez rapidement, dès le moment où il opère plusieurs transactions durant la même année en réalisant un chiffre d’affaires supérieur à CHF 100'000. Ainsi, la loi ne distingue pas entre les acteurs du marché qui agissent en tant que marchand ou en qualité de collectionneur. Seul le chiffre d’affaires réalisé ainsi que le fait d’acheter dans le but de revendre pour leur propre compte ou d’en faire le commerce pour le compte de tiers est pertinent. Les collectionneurs d’œuvres d’art - susceptibles d’être jugés au même titre qu’un professionnel du marché - ont intérêt à s’adapter au niveau des exigences requises en la matière. 

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*Anne Laure Bandle, docteure en droit, avocate chez Borel & Barbey, directrice de la Fondation pour le droit de l’art

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Référence : Anne Laure Bandle, Dans le cénacle des collectionneurs, Le Temps, 8 octobre 2019, https://www.letemps.ch/culture/cenacle-grands-collectionneurs

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