Lawyer & lecturer
Les musées face à la pression financière
Anne Laure Bandle*
Il arrive que de grandes institutions doivent se séparer d’une partie de leurs collections pour assurer leur survie. Mais cela peut parfois se révéler compliqué
Le Berkshire Museum, dans l’Etat du Massachusetts, a annoncé cet été vouloir vendre aux enchères 40 œuvres de sa collection permanente, une décision qui n’est pas du goût du public, hostile à un tel projet. Pourtant, le musée entend vendre ces œuvres pour financer ses activités et la rénovation d’une aile pour un montant total de 60 millions de dollars.
Aussi bien l’American Alliance of Museums (AAM), représentant la communauté des musées états-uniens, que l’Association of Art Museum Directors (AAMD), regroupant 243 directeurs de musées, ont fermement condamné ce projet de vente en rappelant le principe fondamental selon lequel une collection muséale ne doit pas servir d’actif financier.
Parmi les tableaux mis en vente se trouvent des œuvres de Norman Rockwell, Alexander Calder, Francis Picabia et Frederic Edwin Church, dont deux œuvres offertes au musée par l’artiste lui-même. Non seulement la vente de ces œuvres contrevient très vraisemblablement aux intentions des donateurs, mais elle remet en question l’intégrité institutionnelle du musée. D’un point de vue du marché, une œuvre qui a figuré dans une collection muséale est particulièrement prestigieuse et une telle provenance est perçue comme une garantie d’authenticité.
Cette vente est emblématique des difficultés financières auxquelles les musées sont confrontés, résultant notamment d’une baisse du soutien étatique et privé, d’un désintérêt pour les expositions permanentes, et de la croissance des coûts opérationnels. Constamment à la recherche de nouvelles sources de revenus, les musées sont nombreux à avoir ouvert boutiques de souvenirs et cafétérias dans leurs murs. Certains musées, tels que le Las Vegas Art Museum ou le Gulf Coast Museum of Art à Largo, ont succombé à la pression financière et fermé leurs portes.
La question de la survie
Les musées seront toujours désireux d’acquérir de nouvelles œuvres, mais leur préoccupation la plus pressante est de survivre. La vente d’œuvres semble être un moyen de financement inéluctable. Cependant, la sortie d’une œuvre des collections muséales – appelée deaccessioning – peut se heurter à plusieurs barrières.
Premièrement, les donateurs peuvent soumettre leur donation à des charges, exigeant notamment que l’œuvre soit exposée en permanence et interdisant sa vente. Si le musée ne respecte pas les charges grevant la donation, le donateur peut demander que les charges soient exécutées ou révoquer la donation. Le Tribunal fédéral a indiqué à ce titre que le droit de révocation ne passe pas aux héritiers du donateur, hormis pour un motif antérieur à sa mort signalé dans l’année à compter du jour où il en a eu connaissance (celle des héritiers étant non pertinente).
Conformément à ce même jugement, les héritiers des donateurs d’une collection du Musée d’art et d’histoire de la ville de Genève n’avaient pas non plus le droit d’exiger que les tableaux donnés ne soient pas prêtés à d’autres musées, faute d’avoir prévu cette éventualité dans l’acte de donation. Le Tribunal fédéral a ainsi considéré que le prêt d’œuvres faisait partie des opérations classiques d’un musée et que le Musée d’art et d’histoire n’avait pas violé l’accord signé avec les donateurs en accordant un prêt.
Deuxièmement, la loi peut fixer des règles très limitées pour sortir une œuvre d’une collection muséale. Ainsi, le British Museum Act stipule que le musée ne peut se défaire que des objets qu’il possède à double ou qui ne sont pas adaptés pour figurer dans sa collection, ou encore qui sont détériorés au point que leur conservation est devenue inutile. En outre, leur cession ne doit pas causer de détriment aux intérêts publics ou académiques. Par cette approche très restrictive, le musée s’interdit la vente de la quasi-intégralité des objets de sa collection, y compris les frises du Parthénon.
Finalement, les règlements associatifs prévoient généralement un cadre précis pour l’engagement des musées sur le marché de l’art et n’autorisent la vente d’œuvres que pour financer l’acquisition d’autres œuvres. En ce qui concerne le Berkshire Museum, il est très probable que la vente des œuvres sera «sanctionnée» par l’AAMD qui demandera à ses membres de ne pas collaborer avec le musée.
Les musées devront continuer à faire preuve de créativité pour affronter leurs défis financiers tout en respectant les exigences des donateurs et du public, mais aussi les normes professionnelles du milieu.
*Anne Laure Bandle, docteure en droit, avocate chez Borel & Barbey, directrice de la Fondation pour le droit de l’art
Reference: Anne Laure Bandle, Les musées face à la pression financière, Le Temps, 12 September 2017
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