Lawyer & lecturer
La technologie "booste" le marché de l'art
Anne Laure Bandle*
Le monde de l’art contemporain fait peau neuve et s’adapte aux nouvelles technologies pour atteindre la jeune génération de collectionneurs. Catalogues et ventes en ligne, expositions virtuelles et images animées s'invitent sur le marché de l’art
Lors d’une vente d’art contemporain en novembre dernier, la maison Christie’s s’est appuyée sur la technologie pour promouvoir un tableau de maître, présenté délibérément hors catégorie. Une approche nouvelle qui a abouti à une vente spectaculaire. L’œuvre Salvator Mundi, de Léonard de Vinci, s’est envolée au prix de 450 millions de dollars, record mondial jusqu’ici jamais égalé aux enchères. Parmi les techniques déployées, la diffusion d’une vidéo sur les réactions du public devant le tableau du grand maître, y compris celles de l’autre Leonardo (DiCaprio) et de Patti Smith. Leurs émotions filmées témoignent de l’appréciation de l’artiste et suscitent l’engouement.
Les marchands d’art ont bien compris que pour atteindre la jeune génération de collectionneurs, ils doivent s’adapter aux nouvelles technologies. Les catalogues de vente imprimés et envoyés à un fichier de clients sont en passe de disparaître au profit des catalogues en ligne. Désormais, les œuvres d’art s’apprécient au moyen d’images animées de haute définition, pluridimensionnelles, avec pour effet une impression de vie réelle. Mieux encore, les expositions virtuelles nous épargnent des déplacements aux quatre coins du monde et multiplient l’accès aux collections.
Ventes exclusivement en ligne
La révolution technologique a permis non seulement d’élargir l’accessibilité aux enchères et aux ventes privées à travers des plateformes internet, mais aussi d’atteindre un public novice. Selon le rapport Art Basel et UBS 2017 d’Arts Economics, plus de la moitié (56%) des acheteurs d’art en ligne sont de nouveaux clients qui n’ont auparavant jamais été en contact avec le marchand. Il n’est de ce fait pas surprenant de constater que de nombreux marchands ont mis en place des plateformes de vente en ligne pour s’approprier ce public.
Selon ce même rapport, les œuvres d’art et les antiquités vendues en ligne totalisent 4,9 milliards de dollars en 2016, un canal de vente en progression de 4% par rapport à l’année précédente. Par exemple, Christie’s et Sotheby’s ont lancé l’été dernier des ventes exclusivement en ligne de tableaux de maîtres anciens. A leur grand étonnement, un tiers a été vendu à des collectionneurs inconnus de la maison de vente. Quant aux galeries, elles ont réalisé 8% des transactions au moyen d’une vente en ligne.
D’un point de vue juridique, ces nouvelles pratiques de marketing et de vente sont potentiellement problématiques en vertu du droit d’auteur, du fait qu’elles produisent et diffusent des images numériques d’œuvres d’art. Lorsque la technologie permet de reproduire de manière numérique une image conforme à son modèle, cette numérisation correspond à une reproduction généralement soumise à l’autorisation de l’auteur du modèle. Pour autant que l’œuvre n’appartienne pas au domaine public, elle ne peut être librement reproduite sur Internet.
Ne pas oublier le droit d'auteur
Du point de vue de l’image numérisée, celle-ci peut être protégée par le droit d’auteur uniquement si elle répond aux critères d’originalité établis par celui-ci. Plus l’image numérisée diffère de l’œuvre originale, plus elle pourra être considérée comme une nouvelle œuvre à part entière, et plus les chances de sa protection seront élevées. Seules les maisons de ventes aux enchères, les foires et les musées peuvent bénéficier de l’exception conférée par le droit d’auteur pour leurs catalogues en ligne. Elle ne couvre pas toute autre utilisation sur Internet, ni les activités des galeries d’art, qui nécessitent l’aval de l’artiste.
Ce large champ de protection des œuvres d’art ne cessera de croître si l’on se réfère aux dernières modifications de la loi sur les droits d’auteurs, proposées par le Conseil fédéral en novembre dernier, qui visent à protéger même les photographies dépourvues de caractère individuel, telles que les clichés de vacances. Avant d’utiliser une œuvre, il est donc judicieux de vérifier s’il existe des obligations découlant du droit d’auteur.
*Anne Laure Bandle, docteure en droit, avocate chez Borel & Barbey, directrice de la Fondation pour le droit de l’art
Référence : Anne Laure Bandle, La technologie "booste" le marché de l'art, Le Temps, 12 décembre 2017, https://www.letemps.ch/culture/2017/12/11/technologie-booste-marche-lart
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